
09/07/2025 - Les scientifiques de l'Institut Salk ont découvert chez la souris un circuit neuronal clé qui confère à la douleur son impact émotionnel, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives pour le traitement de la fibromyalgie, de la migraine et du syndrome de stress post-traumatique.
La douleur n’est pas seulement une sensation physique, elle a également un poids émotionnel. Cette détresse, cette angoisse et cette anxiété peuvent transformer une blessure passagère en une souffrance à long terme.
Des chercheurs de l’Institut Salk ont désormais identifié un circuit cérébral qui confère à la douleur physique sa dimension émotionnelle, révélant ainsi une nouvelle cible potentielle pour le traitement des douleurs chroniques et affectives telles que la fibromyalgie, la migraine et le syndrome de stress post-traumatique (SSPT).
Publiée le 9 juillet 2025 dans les Proceedings of the National Academy of Sciences, l’étude identifie un groupe de neurones dans une zone centrale du cerveau appelée thalamus qui semble jouer un rôle dans la médiation de l’aspect émotionnel ou affectif de la douleur chez les souris. Cette nouvelle voie remet en question la compréhension classique du traitement de la douleur dans le cerveau et le corps.
« Pendant des décennies, l’opinion dominante était que le cerveau traitait les aspects sensoriels et émotionnels de la douleur par des voies distinctes », explique Sung Han, auteur principal, professeur associé et titulaire de la chaire Pioneer Fund Developmental Chair à l’Institut Salk. « Mais la question de savoir si la voie sensorielle de la douleur pouvait également contribuer à l’aspect émotionnel de la douleur a fait l’objet d’un débat. Notre étude fournit des preuves solides qu’une branche de la voie sensorielle de la douleur intervient directement dans l’expérience affective de la douleur. »
La sensation physique de la douleur est ce qui vous permet de la détecter immédiatement, d’évaluer son intensité et d’identifier sa source. La partie affective de la douleur est ce qui la rend si désagréable. Ce malaise émotionnel vous incite à agir et vous aide à associer des sentiments négatifs à la situation afin de pouvoir l’éviter à l’avenir.
Il s’agit là d’une distinction essentielle. La plupart des gens commencent à percevoir la douleur à partir d’intensités de stimulus similaires, ce qui signifie que nous traitons tous la dimension sensorielle de la douleur de manière assez similaire. En revanche, notre capacité à tolérer la douleur varie considérablement. Le degré de souffrance ou de menace que nous ressentons face à la douleur est déterminé par notre traitement affectif, et si celui-ci devient trop sensible ou dure trop longtemps, cela peut entraîner un trouble douloureux. Il est donc important de comprendre quelles parties du cerveau contrôlent ces différentes dimensions de la douleur.
On pensait que la douleur sensorielle était médiée par le tractus spinothalamique, une voie qui envoie les signaux de douleur de la moelle épinière au thalamus, qui les transmet ensuite aux zones de traitement sensoriel du cerveau.
On pensait généralement que la douleur affective était médiée par une deuxième voie appelée tractus spinoparabrachial, qui envoie les informations douloureuses de la moelle épinière au tronc cérébral.
Cependant, des études antérieures utilisant des méthodes de recherche plus anciennes ont suggéré que le circuit de la douleur pourrait être plus complexe. Ce débat de longue date a incité Han et son équipe à réexaminer la question à l’aide d’outils de recherche modernes.
En utilisant des techniques avancées pour manipuler l’activité de cellules cérébrales spécifiques, les chercheurs ont découvert une nouvelle voie spinothalamique chez la souris. Dans ce circuit, les signaux de douleur sont envoyés depuis la moelle épinière vers une partie différente du thalamus, qui est reliée à l’amygdale, le centre de traitement des émotions du cerveau. Ce groupe particulier de neurones dans le thalamus peut être identifié par leur expression du CGRP (peptide lié au gène de la calcitonine), un neuropeptide découvert à l’origine dans le laboratoire du professeur Ronald Evans à Salk.
Lorsque les chercheurs ont « désactivé » (silencieux génétiquement) ces neurones CGRP, les souris ont continué à réagir à des stimuli douloureux légers, tels que la chaleur ou la pression, indiquant que leur traitement sensoriel était intact. Cependant, elles ne semblaient pas associer de sentiments négatifs durables à ces situations, ne montrant aucun comportement d’appréhension ou d’évitement appris lors des essais ultérieurs. En revanche, lorsque ces mêmes neurones ont été « activés » (par optogénétique), les souris ont montré des signes évidents de détresse et ont appris à éviter cette zone, même en l’absence de stimuli douloureux.
« Le traitement de la douleur ne se limite pas à la détection de la douleur par les nerfs ; il s’agit pour le cerveau de décider de l’importance de cette douleur », explique le premier auteur, Sukjae Kang, chercheur associé senior dans le laboratoire de Han. « Comprendre la biologie qui sous-tend ces deux processus distincts nous aidera à trouver des traitements pour les types de douleur qui ne répondent pas aux médicaments traditionnels. »
De nombreuses affections douloureuses chroniques, telles que la fibromyalgie et la migraine, s’accompagnent de douleurs longues, intenses et désagréables, souvent sans cause physique apparente ni blessure. Certains patients rapportent également une sensibilité extrême à des stimuli ordinaires tels que la lumière, le son ou le toucher, que d’autres ne percevraient pas comme douloureux.
Han explique que la suractivation de la voie spinothalamique CGRP pourrait contribuer à ces affections en amenant le cerveau à mal interpréter ou à réagir de manière excessive aux stimuli sensoriels. En effet, l’analyse transcriptomique des neurones CGRP a montré qu’ils expriment de nombreux gènes associés à la migraine et à d’autres troubles douloureux.
Il est à noter que plusieurs bloqueurs du CGRP sont déjà utilisés pour traiter les migraines. Cette étude pourrait aider à expliquer pourquoi ces médicaments sont efficaces et inspirer de nouveaux traitements non addictifs pour les troubles douloureux affectifs.
Han voit également un intérêt potentiel pour les troubles psychiatriques impliquant une perception accrue de la menace, tels que le SSPT. De plus en plus de preuves issues de son laboratoire suggèrent que la voie de la douleur affective CGRP fait partie du système d’alarme plus large du cerveau, détectant et réagissant non seulement à la douleur, mais aussi à un large éventail de sensations désagréables. Calmer cette voie à l’aide d’inhibiteurs du CGRP pourrait offrir une nouvelle approche pour atténuer la peur, l’évitement et l’hypervigilance dans les troubles liés à un traumatisme.
Il est important de noter que la relation entre la voie CGRP et la douleur psychologique associée à des expériences sociales telles que le deuil, la solitude et le chagrin reste floue et nécessite des études supplémentaires.
« Notre découverte de la voie de la douleur affective CGRP nous fournit une explication moléculaire et au niveau des circuits pour la différence entre détecter la douleur physique et en souffrir », explique Han. « Nous sommes ravis de poursuivre l’exploration de cette voie et de permettre le développement de futurs traitements capables de réduire cette souffrance. »
Traduction du texte original du Salk Institute
Article scientifique : Sukjae J. Kang, Shijia Liu, Jong-Hyun Kim, Dong-Il Kim, Tae Gyu Oh, Jiahang Peng, Mao Ye, Kuo-Fen Lee, Ronald M. Evans, Martyn Goulding, Sung Han. Thalamic CGRP neurons define a spinothalamic pathway for affective pain. Proceedings of the National Academy of Sciences, 2025; 122 (28) DOI: 10.1073/pnas.2505889122
Illustration générée par IA